« La sueur perle sur mon front. Déjà plus de cinq heures que nous sommes partis du camp 4 et que nous fournissons un effort continu. A plus de 8000 mètres, nous sommes désormais en zone de mort. Chaque pas en avant s’apparente à une prouesse. Ma tête commence à tourner et l’air se fait de plus en plus rare. Piolets en mains, mon équipe et moi devons rester vigilants. Une seconde d’inattention et tout s’arrête. Instantanément. Définitivement. Le sommet est encore à une centaine de mètres et même si nous y parvenons, nous n’y resterons que quelques minutes. Je ne sais pas si j’y arriverai. Mes doigts commencent à se tétaniser et mon rythme cardiaque s’emballe. Un rapide coup d’œil sur les dernières données transmises par notre équipe de support. La fenêtre météo reste ouverte. Mais je ne parviens presque plus à distinguer les chiffres et les lettres sur le petit écran de contrôle. Pourtant, je peux imaginer le point culminant de notre périple. Du moins, je crois. Je ne sais plus… Cette fois c’est sûr, je n’y arriverai pas. Je commence à divaguer et il faudra encore prévoir la descente. C’est trop risqué. Progresser encore serait de la folie. Un bon alpiniste sait quand s’arrêter. Même à quelques mètres du sommet. Cette fois, la montagne a été plus forte que moi. Mais je reviendrai, ici, dans l’Himalaya. »
Malheureusement, chaque ascension ne se solde pas forcément par une réussite. Mais ce qui est certain, c’est qu’avec Trek 12, les bûcherons de Lumberjacks Studio visent les sommets grâce à un opus malin et magnifiquement réalisé. Il faut dire qu’ils commencent sérieusement à prendre de la bouteille, ces solides gaillards ! Peanut Club, La Petite Mort, La Cour des Miracles, L’Ile de Pan, et on en passe… Un catalogue haut en couleur qui commence à comporter de belles références. Et à cela, on ajoute désormais le pétillant « Trek 12 » !
Trek 12 est un jeu signé Bruno Cathala et Corentin Lebrat. Un opus prévu pour 1 à 5 alpinistes et dont les parties se jouent entre 15 et 30 minutes selon le mode de jeu choisi. A partir de 8 ans, le titre devient accessible pour un jeu qui s’affiche clairement comme une aventure en Roll & Write. Attendez, attendez, ne partez pas ! On sait que certains joueurs n’apprécient pas énormément ce type de jeux. Mais pour une fois, laissez-vous surprendre car Trek 12 va bien plus loin que cette mécanique de base. Faites-nous confiance !
Ainsi, dans Trek 12, chaque joueur incarne un alpiniste chevronné. Un vrai Mike Horn du jeu de plateau ! Direction… l’Himalaya, où vous devrez cartographier les passages menant aux plus hauts sommets. De dangereuses expéditions qui vous feront poser des chemins de corde au péril de votre vie. Concrètement, à chaque tour, vous placerez des chaînes de nombres et vous essayerez de créer des zones sur les flancs des montagnes. Au fil des parties, vous accomplirez des objectifs et vous débloquerez du contenu additionnel. Lequel demeure enfermé dans de mystérieuses enveloppes inclues dans la boîte de jeu. Entre équipements à utiliser, parties rapides, mode aventure ou même différentes façons de gagner, il y aura de quoi faire dans cette région inhospitalière qui abrite le toit du monde.
Sans plus attendre, chaussez vos crampons, on vous emmène en expédition avec un rapide aperçu des règles !
On n’y joue pas K2 !
Chaque joueur prend une feuille de jeu à l’effigie d’un sommet de l’Himalaya ainsi qu’un crayon qui écrit (c’est clairement précisé dans les règles). Et c’est parti pour l’expédition !
L’un des joueurs lance les deux dés du jeu. Chacun doit alors mentionner dans une case de sa fiche, un chiffre résultant de ce lancé de dés. Soit le chiffre le plus petit, soit le plus grand, soit la différence des deux chiffres, soit la somme des deux chiffres, soit le produit des deux chiffres. Et chaque option est disponible de façon limitée. Puis, les dés sont relancés et on continue ainsi de suite.
Chaque chiffre ne peut être inscrit que dans une case adjacente à un autre chiffre. Et lorsqu’un nouveau chiffre constitue une suite de nombre avec un autre chiffre déjà inscrit (par exemple 5 et 6 ou 2 et 1), cela constitue un chemin de corde. Ce chemin peut bien sûr être complété au fil de la partie (par exemple 5, 6, 7, 8, etc.). Et si un chiffre est inscrit à côté d’un autre chiffre de même valeur, cela représente une zone qui est alors « grisée » par le joueur. Bien sûr, comme pour les chemins de corde, ces zones peuvent aussi être complétées tout du long de la partie.
Quand toutes les cases d’une feuille sont remplies, la partie prend fin. Les chemins de corde et les zones rapportent alors des points de victoire. Et des bonus sont attribués pour les chemins les plus longs et les zones les plus grandes. Des malus sont appliqués pour les nombres orphelins et on détermine le grand gagnant !
Des règles qui se prolongent vers les sommets
Les règles décrites ci-dessus constituent la base de Trek 12. Mais il est également possible de mener une expédition sur plusieurs sommets. Pour les chevronnés ! Les joueurs enchaîneront alors différentes ascensions sur trois sommets différents et le jeu introduit alors des cartes d’équipement. Les équipements déploient des effets variés permettant par exemple d’inscrire des chiffres dans des cases non-adjacentes, de relancer les dés, de tracer des chemins de corde en dérogeant aux règles, etc. Par ailleurs, mener une expédition en enchaînant des sommets, va rapporter des étoiles de prestige. Et ces étoiles détermineront alors qui remporte la partie.
Trek 12 contient également six grandes enveloppes scellées. Au fur et à mesure des parties, vous accomplirez différents objectifs. Par exemple, créer une zone de 7 cases, ou un chemin de corde de 9 cases, ou même une zone composée de chiffres de valeur 11. Quand un objectif est réalisé, les enveloppes peuvent alors être décachetées. Du contenu additionnel se révèle : de nouvelles cartes, de nouvelles ascensions possibles et bien d’autres surprises. On ne vous spoilera pas.
Dernier élément que nous souhaitions encore évoquer… le mode solo ! Pour ceux qui n’ont pas d’ami à plus de 3500 mètres. Non, on plaisante. Avant d’entamer sa partie, le joueur prend une deuxième fiche qui constitue l’ascension de Max. Un autre alpiniste. Libre. A chaque tour, Max joue dans la même case que vous et inscrit le chiffre du dé le plus haut. Et à la fin de la partie, chaque malus de Max devient pour lui un bonus. Assurément, un adversaire redoutable !
Encore-dés pendant toute la grimpette
Une belle grosse boîte de jeu bien épaisse. Voilà qui ne nous a pas laissés indifférents. Surtout que le thème était plutôt accrocheur. Mais cette mention… Roll & Write… Pffff, encore un énième jeu avec des feuilles et des crayons ? On hésite. Finalement, on se laisse tenter. Et heureusement, car on a failli passer à côté de cette petite pépite. Asseyez-vous confortablement dans votre canapé, on vous explique.
A l‘intérieur de la boîte, on retrouve 3 feuillets de jeu, 2 gros dés en bois, 17 cartes, 6 enveloppes cachetées et 3 petits manuels d’explication des règles. En ouvrant le couvercle, immédiatement, on en prend plein les yeux car le thème a été fabuleusement illustré par le duo Jonathan Aucomte et Olivier Derouetteau. D’un coup, nous sommes dans l’ambiance. Dans les préparatifs du voyage. Puis, on s’attarde sur le matériel dont la production suit cette même ligne. Du papier bien agréable pour les éléments de jeu, de beaux gros dés en bois et quelques cartes, sobres mais avec toujours ces magnifiques visuels. Une production sans faute, à un petit détail près. Comme le jeu s’avère particulièrement addictif – nous y reviendrons – on regrette que l’éditeur n’ait pas imprimé les feuillets de jeu en recto-verso. Ces versos blancs, inutilisés, c’est triste. Les feuilles s’épuisent rapidement alors espérons que des packs de recharges seront envisagés. L’appel est lancé.
Le thème de la montagne et de l’alpinisme a déjà été utilisé dans plusieurs jeux de société. Néanmoins, ce Trek 12 flirte les sommets avec une très belle ambiance qu’on retrouve sur tous les composants. C’est très thématique. Les livrets d’instruction donnent l’impression d’un « journal de bord », les dés à l’apparence « usés par le temps », les feuilles d’expédition qui témoignent d’un certain vécu. Que c’est beau ! Sans oublier les visuels accrocheurs et réalisés avec beaucoup de soin et de talent. On ne vous en dira pas plus, mais la direction artistique se poursuit encore, et superbement, sur le contenu présent à l’intérieur des enveloppes.
Crampons enfoncés dans la glace, ce n’est pas vraiment là qu’on sort son calepin pour tracer un chemin de corde. Cependant, au fur et à mesure que nos feuilles de jeu prennent vie, on s’imagine volontiers sur les pentes abruptes du Dhaulagiri. Ou sur une arrête du Dunai, balayée par les vents. On reste certes sur un Roll & Write, mais Trek 12 propose une belle immersion et il y a quelque chose de magique et d’envoûtant a chatouiller les plus hauts sommets.
Comme nous sommes désormais bien acclimatés au camp de base, intéressons-nous à la règle du jeu. On vous le disait, trois livrets. Un premier, le « Manuel du Trekkeur » nous explique les principes de base en huit pages. Une typographie assez grande et lisible, le tout ponctué par de petits schémas et des exemples. Le manuel se lit facilement et rapidement. Il n’y a aucun doute, et très vite, les joueurs peuvent se lancer dans une première ascension. Bon, maintenant que vous avez planté un drapeau au sommet du petit mont que vous voyez par la fenêtre de chez vous, on peut passer aux choses sérieuses. Un deuxième document, toujours de huit pages, ajoute de nouvelles règles. Et il s’adresse à l’alpiniste que vous êtes devenu. Encore une fois, les informations sont claires et nous voici fin prêts pour des ascensions multiples. Ce concept de proposer plusieurs documents d’apprentissage permet une prise en main graduelle et le principe fonctionne à merveille. Un dernier livret de quatre pages vous expliquera en détail le mode solo.
Ouvrons rapidement une petite parenthèse pour évoquer l’édition spéciale lancement. En effet, un tirage limité de 1000 boîtes a été produit et contient, en plus, un quatrième livret exclusif. Huit pages sur lesquelles se déclinent le travail d’illustration de Trek 12. Entre croquis et mises en couleurs définitives, le petit plus ne laisse assurément pas indifférent.
Pour débuter une partie de Trek 12, il suffit de quelques dizaines de secondes et nous sommes déjà prêts. Sac à dos compris ! Pas ou peu de setup; on apprécie. Lors d’une première partie, on constate très vite que les règles offrent une excellente accessibilité. Surtout que tout est indiqué sur les fiches de jeu et il n’y a aucun retour à la règle en cours de partie. Les lancés de dés et les tours s’enchaînent facilement dès le début. En revanche, on a eu un peu plus de mal avec nos deux premiers décomptes de points. Il faut reprendre la règle et bien procéder par étape; c’était quelque peu fastidieux. D’ailleurs, avec certains jeux estampillés Bruno Cathala, on apprécie souvent la fluidité du gameplay mais on déchante en fin de partie avec une feuille de score sur laquelle on en finit plus de décompter, d’ajouter des bonus et des malus… Frustrant ! Mais finalement, si on persévère avec le décompte de Trek 12, on en prend l’habitude et tout se régularise. Ouf ! La montagne c’est aussi cela, persévérer encore et encore !
Les mécanismes de Trek 12 reposent sur une base de Roll & Write à laquelle s’ajoutent de l’optimisation et de l’anticipation. A chaque tour, il convient de choisir le bon chiffre et surtout, de le placer au bon endroit. En prenant en compte le fait que d’autres chiffres devront y être ajoutés et qu’il faut maximiser ses points de victoire. Une petite prise de risque s’invite alors à la réflexion et on est tenté de laisser des emplacements libres pour les prochains lancés de dés. Forcément. Au risque de le payer plus tard. Ou de préférer des nombres à deux chiffres. Avec les cartes d’équipement, se créer encore une légère gestion de main; jouer sa carte au bon moment s’avère primordial. Ou la conserver pour des points de victoire supplémentaires en fin de partie. Cruel dilemme ! Mais le gameplay en est ainsi clairement enrichi. Notons encore une part de chance qui s’avère inévitable dans Trek 12 vu que vos ascensions sont étroitement liées aux lancés de dés. Et des caprices de la montagne ! Quoi qu’il en soit le gameplay fonctionne merveilleusement bien et on prend beaucoup de plaisir à utiliser ces différents mécanismes. Travaillés. Aboutis. Surtout qu’au fur et à mesure des parties, la difficulté augmente et on se triture sérieusement les méninges. Principalement avec le mode ascension qui rajoute du challenge et de la compétition entre les alpinistes.
L’originalité de Trek 12 repose surtout sur le fait que le jeu va bien au-delà du simple Roll & Write. Tant les auteurs que l’éditeur, chacun a su dépasser les limites d’un système de jeu très classique, pour en proposer une vraie petite pépite. Tout le concept et la direction artistique de l’opus ont été portés sur les sommets. Et c’est le cas de le dire ! Bien sûr, on ne veut pas et on ne peut pas tout vous révéler, mais le concept des enveloppes à ouvrir et du contenu qui y a été ajouté, c’est tout simplement « génial » ! Le jeu arrive à nous surprendre et à se renouveler des plus belles façons qui soit.
Trek 12 se veut aussi à l’image d’une expédition en haute montagne; on ne reste jamais oisif. Ainsi, les tours de jeu demeurent très dynamiques. Surtout que tout le monde joue en même temps ! Il n’y a donc presque aucun temps mort et la partie se poursuit au gré des lancés de dés. Au gré des expéditions. Au gré des ascensions. Quel pied !
Pas énormément d’interaction dans cet opus mais précisons immédiatement que cela n’est pas un reproche. Le jeu est ainsi. Pendant toute la partie, chacun se concentre sur son tracé. Donc sur sa feuille. En montagne, une seule seconde d’inattention et c’est la chute ! Vous voilà prévenus. Néanmoins, certains challenges ou certaines cartes permettront de rivaliser avec les autres alpinistes. On en dira pas plus. En revanche, dans une partie de Trek 12, rester impassible s’avère impossible. On commente sa grimpette, on grogne sur certains lancés de dés, on se glorifie de belles ascensions… Le jeu procure des émotions. De la vie. Et voilà ce qu’on recherche dans un bon jeu de société. Objectif accompli !
A quelques mètres du sommet, évoquons encore avec vous le mode solo. Nous avons particulièrement apprécié le fait de pouvoir se confronter à un autre alpiniste. Un certain Max. Grâce à des manipulations toutes simples, l’IA de Max permet d’inscrire ses ascensions sur une feuille séparée. Cela reste la même montagne et il note ses chiffres dans la même case que vous. Mais toujours avec les plus hautes valeurs. Et au final, Max propose du challenge et se positionne comme un alpiniste chevronné. Redoutable. Un vrai Sherpa rompu à l’exercice. Cela dit, vous n’êtes absolument pas obligé de jouer en solo contre un autre joueur. Vous pouvez tout à fait vous en tenir à votre seule feuille, accomplir votre expédition, et essayer de battre votre score. C’est à vous de juger.
Nous devrions encore évoquer pas mal de choses avec vous. Des éléments faisant partie intégrante du jeu. Cependant, ces éléments se trouvent à l’intérieur des six enveloppes scellées. Cela s’avère un peu frustrant pour nous car nous aimerions vous proposer un retour d’expérience le plus complet possible. Mais non, on ne vous spoilera pas. Pas de divulgâchage. On peut tout de même vous dire qu’au fur et à mesure de l’accomplissement des challenges, le jeu s’enrichit de manière passionnante. On progresse dans la partie et tout a été réfléchi pour nous offrir une magnifique expérience ludique. De quoi s’amuser encore et encore avec ce jeu très addictif.
Au final, Trek 12 s’avère pour nous l’une des plus belles découvertes de cette année 2020. Et on le pense sincèrement. On a apprécié le fait que ce jeu apporte un sacré vent frais aux opus de type Roll & Write. Un blizzard des sommets. Vivifiant et envoûtant. Des règles simples, du matériel de qualité, des illustrations réussies, des challenges, un jeu évolutif, différentes façons de gagner, une immersion réussie, de la réflexion, des surprises, de belles émotions ludiques… ouf ! Que vouloir de plus ? Dans Trek 12 on n’inscrit pas simplement des chiffres dans des cases. Le jeu va bien au-delà. La base demeure certes toute simple mais tout ce qui entoure Trek 12 rajoute du fun et permet vraiment de s’amuser. En cours de partie, on passe par tous les états d’esprits. Tantôt fier, concentré ou dépité. Le plus important dans les jeux de société, c’est que ces derniers nous procurent des émotions. Qu’ils ne nous laissent pas indifférents. Qu’ils nous apportent des souvenirs. Et surtout l’envie d’y rejouer. Trek 12 aura été pour nous un concentré de tout cela. Une petite boîte pour un grand jeu qui taquine les sommets ludiques de 2020 ! En un mot, c’est génial !
Trek 12 sur le site des bûcherons
La règle du jeu expliquée en vidéo
La page du jeu sur Board Game Geek
Le site de Lumberjacks Studio