Les lumières clignotent. Dans chaque couloir, des voyants rouges signalent l’urgence de la situation. Mais pas un bruit, pas un signal d’alarme. Le système audio grésille. D’étranges turbulences secouent l’ensemble du pont principal et une odeur pestilentielle s’est répandue dans tout le vaisseau. Le système de survie paraît toujours fonctionnel même si deux membres d’équipage sont visiblement déjà sortis de leur stase; leur cadavre jonche le sol. Le vaisseau se trouve encore à plusieurs années lumières de la Terre et pour l’instant, un éventuel retour à la maison paraît fort compromis. Surtout que les moteurs donnent des signes de faiblesse. Mais ce n’est pas le plus inquiétant. Dans ces régions encore méconnues de l’espace, le vaisseau paraît comme habité. Infesté. Comme si une présence se trouvait parmi nous. Une présence dépourvue de bonnes intentions…
On avait envie de vous « filer la trouille » ! Et quoi de mieux qu’une partie de Nemesis pour tester le palpitant ? Un grand vaisseau spatial sombre, inquiétant et pas vraiment abandonné… Soyez le bienvenu à bord ! Mouhahah (rire machiavélique) ! Ayant fait son apparition en 2018, l’histoire de ce jeu plutôt atypique a débuté sur Kickstarter avec le soutien exceptionnel de plus de 30’000 contributeurs. Il faut dire que l’éditeur originel – Awaken Realms – jouit d’une formidable cote de popularité et propose régulièrement des jeux au gameplay et au background très travaillés. Citons par exemple This War of Mine (jeu de l’année 2019 chez Jeudéclick), Tainted Grail, Lords of Hellas, etc. Ainsi, les Français de Funforge ont décidé d’une localisation du titre dans la langue de Molière avec « Nemesis » qui rejoint de ce fait, leur catalogue déjà bien fourni.
Aux commandes de cette grande boîte de jeu, on retrouve Adam Kwapinski. Un auteur polonais qui a déjà signé plusieurs jeux dont Lords of Hellas ou encore InBetween. Pour les illustrations et l’artistique, une dizaine de créatifs ont été mis à contribution par l’éditeur. Un projet plutôt conséquent et donc un « gros jeu » qui saura réunir un à cinq joueurs aguerris, pour des parties accessibles à partir de douze ans, d’une durée affichée entre 90 et 180 minutes. Et ce n’est pas sous-estimé !
Dans Nemesis, vous vous réveillez de votre biostase. Un rapport de dégâts vous informe d’une défaillance critique du système qui empêche le vaisseau dans lequel vous vous trouvez de continuer son voyage. Vous devez explorer le vaisseau, identifier les dégâts et accomplir votre mission pour espérer rentrer sur Terre. Mais le vaisseau a été infesté de créatures hostiles. A chaque tour, vous jouez des cartes pour vous déplacer, combattre, remettre le vaisseau en état, effectuer des rencontres et utiliser les effets des différentes salles visitées. Tantôt coopératif, tantôt compétitif, le jeu ne vous laissera aucun répit et vous ne pouvez être sûr de rien. Ni même de la bienveillance des autres membres d’équipage.
On vous résume brièvement les règles du jeu avant de vous expliquer ce qui nous a passionnés dans Nemesis.
C’est l’angoisse sur le plateau…
Chaque joueur incarne un membre d’équipage du Nemesis et chacun dispose d’une mission, gardée secrète jusqu’à la fin du jeu. Pour gagner, chaque joueur devra accomplir sa mission et rentrer sur Terre en un seul morceau. Si votre personnage meurt en cours de jeu, si le vaisseau explose ou si le Nemesis repasse en hyperespace alors que vous n’êtes pas dans une navette ou en hibernation, la partie est perdue. Quand le marqueur de temps arrive sur zéro, le vaisseau effectue un saut en hyperespace et la partie prend fin.
Vous commencez par piocher cinq cartes dans votre Deck avant de débuter votre phase d’action. Alors, vous pourrez effectuer deux actions. Pour effectuer vos actions, vous défaussez vos cartes en main; soit en utilisant les actions décrites sur les cartes, soit en utilisant les cartes pour « payer » les actions telles que : vous déplacer, combattre, ramasser un corps, échanger ou fabriquer un objet. Quand vos deux actions sont jouées, la main passe au joueur suivant qui effectue également ses deux actions. Chacun joue jusqu’à épuisement de ses cinq cartes en main ou qu’il décide de passer. Ensuite, le marqueur de temps avance, les ennemis présents dans le vaisseau attaquent les joueurs et s’il y a le feu à bord, ce dernier cause des dégâts. Au final, un événement commun est résolu, certains ennemis se déplacent dans le vaisseau et on résout un dernier effet lié aux intrus à bord du Nemesis. Puis, un nouveau tour commence.
Arrêtons-nous à présent sur les déplacements des joueurs à bord du vaisseau. A chaque fois qu’un joueur se déplace et qu’il pénètre dans une salle encore inexplorée, tous les joueurs découvrent cette salle en retournant la tuile. Les joueurs découvrent aussi si son système est éventuellement endommagé et le nombre d’objets qu’elle contient. A noter que fouiller une salle pour y récupérer des objets sera également une action possible, tout comme le fait d’activer l’action spécifique de la salle. Puis, le joueur procède à un lancer de dé pour déterminer s’il a fait du bruit en se déplaçant. Un marquer de bruit est alors placé dans l’un des couloirs adjacents à cette salle. Deux marqueurs et une rencontre avec un ennemi survient ! Précisons qu’il existe plusieurs types d’ennemis : des larves, des rôdeurs, des adultes, des hybrides et une Reine. Le combats avec ces ennemis s’effectuent sous la forme de lancers de dés moyennant des « touches » à effectuer.
À noter encore que pour que le vaisseau rentre sur Terre, sa destination doit être la bonne. Depuis le poste de pilotage les joueurs pourront choisir la direction du Nemesis. Et les trois moteurs doivent être aussi fonctionnels. La plupart des joueurs auront cet objectif… mais peut être pas tout le monde à bord !
Vous allez vous régaler !
A l’ouverture d’une boîte de Nemesis, on en prend franchement plein les yeux ! Pour ceux qui ont eu l’occasion de jouer avec This War of Mine (édité aussi par Awaken Realms), on retrouve le même soin et le même esprit apporté aux composants. Un immense plateau de jeu recto-verso, 26 figurines, plus de 300 cartes toilées, une vingtaine de tuiles en carton pour les salles du vaisseau, environ 200 jetons en carton et marqueurs en plastique, un scanner en carton, des porte-cartes en plastique, des plateaux individuels… le tout rangé dans deux inserts en plastique avec couvercles. Sans oublier encore la règle du jeu.
La production du jeu est de toute beauté. Les figurines sont finement sculptées et les amateurs de peinture se font un régal à leur donner vie. Un soin particulier a été apporté aux marqueurs en plastique et on prend beaucoup de plaisir à les manipuler et les utiliser tout au long de la partie. Le plateau central est immense et apporte un sérieux plus à l’immersion. Sans oublier les magnifiques illustrations très thématiques qui décorent les plateaux individuels et les innombrables cartes de Nemesis. Le jeu ayant fait l’objet d’une campagne Kickstarter, on sent bien que la production a bénéficié d’un sérieux coup de pouce. Mais pour autant, nous ne sommes pas sur des composants « sur-produits ». Il y a eu de la réflexion dans cette production et le résultat est à la hauteur d’un grand jeu de société.
Thématiquement, dès l’ouverture de la boîte, nous y sommes ! Les portes du vaisseau se sont ouvertes et son ambiance glauque et inquiétante se ressent immédiatement. Le matériel de jeu a été voulu sombre, le plateau plonge les joueurs dans une semi-pénombre et les cartes ne sont pas franchement là pour nous rassurer. Les figurines viennent comme une cerise sur le gâteau pour nous apporter ce soupçon d’effroi et d’horreur qu’on attend d’un tel jeu. La peur se trouve dans chaque couloir… la partie peut commencer et l’immersion demeure à son paroxysme !
Mais avant toute chose, il faudra se plonger dans la règle du jeu. Lors de la découverte du feuillet, qui est tout de même composé de quelques 28 pages, on peut franchement prendre peur ! De notre point de vue, l’éditeur Awaken Realms propose presque systématiquement des règles qui ne donnent pas envie de s’y mettre. C’est dense, c’est compact, et pas vraiment engageant. Cependant, lorsqu’on débute la lecture du règlement, ce dernier se lit plutôt bien et ne manque pas de clarté. Les explications sont efficaces, ponctuées de nombreux exemples et d’illustrations qui rendent le tout aisé pour une première partie. Même s’il fait aimer lire des règles sur trois colonnes, pendant des pages et des pages.
Ouvrons rapidement une parenthèse concernant la mise en place du jeu. On vous conseille de bien identifier les composants et surtout de trier vos cartes. Cette opération faite, vous gagnerez un temps considérable pour les prochains setups et en quelques minutes, vous serez prêts à arpenter les couloirs du vaisseau.
Une fois les règles assimilées et lues dans le calme (petit conseil), la première partie ne pose pas trop de difficultés. Une partie de découverte reste néanmoins nécessaire de notre avis. Lors de l’approche initiale, on note quelques retours à la règle pour résoudre les effets des dés de combats où les effets de certains jetons piochés dans le sac lors des opérations de fin de tour. A ce propos, une petite aide de jeu aurait été la bienvenue et c’est une chose manquante dans l’édition « retail ». D’ailleurs cette aide existe avec les Stretchs Goals de l’édition Kickstarter. Mais pas de panique, vous retrouvez un tel document en libre téléchargement sur BGG; le lien se trouve au bas de notre sujet. Pour le surplus, une fois quelques tours effectués, on se rend compte qu’il n’y a rien de bien compliqué, pour peu que vous soyez un minimum habitués à jouer. Rappelons tout de même que Nemesis reste un opus destiné à des gamers. Moins d’une dizaine d’actions possibles et tout est indiqué sur les plateaux des joueurs. Et tout est logique et intuitif ! Reste une série de points de règles spécifiques qu’on acquiert au gré des parties.
Les mécanismes de Nemesis sont riches et variés. Rappelons que le jeu peut aussi bien se jouer en semi-coopératif, qu’en « full coopératif ». Ainsi, on se retrouve bien sur une importante gestion de main de cartes qui servira de moteur à vos parties. Les cartes s’utilisent pour presque toutes les actions. Placements, déplacements, jets de dés, entraide, anticipations, gestion de ressources, affrontements, combos… le jeu propose de nombreux mécanismes qui s’entremêlent et s’utilisent parfaitement entre-eux pendant le jeu. Et si vous jouez en semi-coopératif, un ou plusieurs traîtres pourront se glisser parmi les joueurs. Vous tuer pourra même faire partie de leurs objectifs. Et là, des mécanismes de bluff s’inviteront aussi au cœur du gameplay. Au final, Nemesis reste bien un jeu d’aventure dans lequel tous ces nombreux aspects fonctionnent ensemble à merveille. C’est savoureux !
Dans Nemesis, on apprécie également que le thème colle très bien avec le gameplay. On l’a déjà précisé mais le jeu propose une forte immersion et dans ce vaisseau inquiétant et méconnu des joueurs, on ne souhaite que se déplacer, fouiller et rapidement accomplir sa mission. Et c’est justement ce que le gameplay nous demande et nous propose tout le long du jeu ! Par ailleurs, le fait de se déplacer tantôt en faisant du bruit, tantôt de manière silencieuse, et avec un vrai impact sur la partie, contribue encore davantage à une originalité ludique déjà bien développée. Sans oublier tous les composants et les nombreuses actions possibles qui en font au final un jeu passionnant pour passionnés avertis.
L’auteur de Nemesis a eu l’excellente idée de proposer des tours de jeux qui sont « morcelés » en plusieurs étapes. En effet, si nous piochons cinq cartes à chaque début de tour, on ne pourra effectuer que deux actions. Puis, le suivant jouera ses deux actions jusqu’à ce que le tour nous revienne pour deux nouvelles actions. Cette façon de faire a le mérite de ne pas laisser les différents protagonistes oisifs trop longtemps. En outre cela donne du rythme à la partie et beaucoup de dynamisme au jeu. Il est aussi plus facile de réagir ou d’interagir avec les actions des autres joueurs. Encore un point fort que nous apprécions beaucoup et qui mérite d’être relevé.
Et forcément, dans Nemesis, l’interaction n’est de loin pas en reste. Le jeu semi-coopératif apporte une convivialité très présente mais qui s’exprime aussi avec un soupçon de retenue. Difficile de proposer une stratégie commune alors même que l’un des joueurs pourrait potentiellement n’avoir qu’une seule envie; celle de vous liquider froidement au détour d’un couloir. Faut-il révéler son jeu ou non ? N’empêche que les éléments de la partie et du gameplay engendrent une très sympathique interaction dont on ne se lasse pas et dont on profite de bout en bout.
Avant de conclure, évoquons encore la rejouabilité du titre. De nombreuses salles sont proposées lorsqu’on arpente les couloirs du vaisseau et toutes ne sont pas utilisées lors d’une même partie. Les personnages jouables sont multiples, tous avec leur deck de cartes spécifiques, objets et capacités. Les nombreuses pioches de cartes sont également bien fournies et on ne les utilise pas toutes lors d’une partie. Les déplacements des ennemis vont également s’effectuer de manière aléatoire, sans oublier les missions des joueurs qui changent à chaque fois et qui vont incontestablement offrir du renouveau à chaque fois. Et comme si tout cela ne suffisait pas, les extensions proposées par l’éditeur rajoutent encore de quoi renouveler son expérience. Vous l’aurez compris, une partie ne ressemble jamais à une autre et cet élément est un véritable point fort de Nemesis.
Au départ, nous étions intrigués par le financement participatif de Nemesis. A l’arrivée, nous sommes conquis par le « produit final ». On s’est laissé convaincre lors de la campagne, on a attendu, longtemps, et finalement la boîte de jeu est là. Bien remplie. Avec du matériel qui nous donne envie et qui émerveille les joueurs que nous sommes. Le thème ne manque pas de captiver les joueurs; même ceux qui ne portent pas spécialement les « monstres » dans leur cœur. En quelques tours, le système de base du jeu est pris en main. Et le moins que l’on puisse dire c’est que Nemesis offre une très belle richesse dans son fonctionnement. C’est original, c’est captivant, c’est prenant ! Sans oublier le système de gestion du bruit qui apporte beaucoup de fraîcheur aux mécanismes. En outre, on a aimé le fait que les combats ne soient ni trop complexes, ni trop simplistes. Les missions sont aussi intéressantes, il y a du challenge, de la réflexion, de la planification. On ne voit vraiment pas le temps passer dans ce jeu où gagner n’est pas du tout une sinécure ! On pourrait encore vous en parler durant de nombreux paragraphes mais vous aurez compris que Nemesis nous a véritablement passionnés. On est clairement ravi d’avoir dépensé plusieurs dizaines de dollars pour soutenir ce projet. Nemesis fait désormais partie de ces jeux qu’on prend plaisir à ressortir régulièrement et qui squatte avec fierté les sommets de notre baromètre ludique.
Nemesis en français & Nemesis Lockdown
Pour conclure, un mot sur la disponibilité du jeu. A l’heure où nous rédigeons ces lignes, la version française est en rupture de stock chez Funforge et Nemesis n’est pas distribué en boutiques. Il faudra donc attendre un nouveau tirage, dont la livraison est attendue pour septembre 2020. Quelques infos à ce sujet >>
Par ailleurs, une nouvelle campagne Kickstarter a vu le jour pour le financement de « Nemesis Lockdown ». La première boîte de base est bien proposée en reprint mais uniquement en anglais dans le cadre de ce financement.
Les intéressés du jeu de base Nemesis en français, qui ne sont pas encore en possession d’un exemplaire, devront donc prendre leur mal en patience en attendant septembre 2020.
Nous reviendrons aussi sur le standalone Nemesis Lockdown. Mais dans un autre sujet, après y avoir joué, afin de vous proposer un retour d’expérience le plus complet possible.
Maintenant, à vous de vous forger votre propre avis.
La règle du jeu en français
Une aide de jeu en français (sur BGG)
Nemesis sur Board Game Geek
Le site de l’éditeur Funforge
Le site d’Awaken Realms