Encore un peu de terre ocre dans le breuvage et on mélange. D’un geste sûr et précis, le pinceau est alors plongé dans le pot en terre cuite, puis la suite des ornements royaux continue à prendre vie. Bleu nuit, orange, vert, les couleurs apparaissent petit à petit grâce aux talents des artistes venus de toute la basse-Egypte jusqu’aux immenses plaines de Luxor. Les journées sont rudes et harassantes dans ce désert brûlant. Néanmoins, chacun a bien conscience de la chance qui lui est accordée. Un privilège réservé aux plus talentueux. Chacun dans son domaine. Et le chantier grouille de petites mains qui s’affairent dans tous les sens. Architectes, tailleurs de pierres, sculpteurs, convoyeurs, peintres et autres spécialistes des mosaïques. C’est certain, le tombeau de Pharaon sera le plus impressionnant de tous !
Quarante degrés à l’ombre, un Sphinx majestueux et des dunes à perte de vue. Le décor idéal pour une petite partie de Pharaon ! L’invitation est d’ores et déjà lancée et se sont les Lyonnais de Catch Up Games qui nous l’envoient avec le dernier poulain de leur écurie qui débarque à présent dans toutes les bonnes boutiques. Il faut dire que l’éditeur nous ravit à chaque fois qu’il propose un nouvel opus. Ainsi, on vous a déjà parlé de Twelve Heroes, Paper Tales et son extension, le génial petit CuBirds, Fertility et à présent, c’est au tour de Pharaon ! Remarquez qu’avec Fertility, leur précédent jeu, on nous proposait déjà une balade en terres égyptiennes. Y aurait-il quelque chose dans ce pays de ludiquement introuvable ailleurs ?
Quoi qu’il en soit, c’est avec beaucoup d’empressement qu’on a découvert Pharaon. En premier lieu grâce aux visuels à couper le souffle signés Christine Alcouffe. Il faut dire que l’illustratrice – de talent – a effectué un superbe travail de recherche pour créer un univers visuel directement inspiré des hiéroglyphes égyptiens. Mais Pharaon ne serait rien sans ses auteurs Sylvain Lasjuilliarias et Henri Mollin qui ont imaginé un jeu pour un à cinq joueurs, accessible dès douze ans et pour des parties pouvant aller jusqu’à deux heures.
Maintenant que nous sommes tous bien arrivés au Caire, il est temps de s’intéresser de plus près à ce « Pharaon ». Nous sommes les enfants de Pharaons et dans cette culture mythique de l’Égypte ancienne, nous allons passer notre vie à préparer notre passage vers l’au-delà. Le plateau de jeu propose différents quartiers, dans lesquels chacun pourra effectuer des actions moyennant le paiement d’un coût d’accès. Nous devrons nous entourer d’artisans, bâtir la chambre funéraire la plus somptueuse, faire des offrandes aux Dieux et contenter leurs exigences. Le tout pour gagner de précieux points de victoire et espérer remporter la partie. Une salade de points avec de nombreux axes de scoring et un jeu destiné à des joueurs habitués.
Sans plus attendre, regardons le matériel de jeu avec notre capsule en vidéo accélérée puis on vous en dit davantage.
File dans ta chambre ! Funéraire !
En tant qu’enfant de Pharaon, vous devrez donc préparer votre passage dans l’au-delà en bâtissant la plus voluptueuse chambre funéraire et ainsi espérer gagner de précieux points de prestige à la fin des cinq manches que dure le jeu.
A chaque tour, vous commencez par recevoir trois ressources parmi six (dont une pouvant remplacer les autres). Ensuite, vous devez effectuer une des cinq actions disponibles sur le plateau circulaire situé au centre de la table. Ce plateau est réparti en cinq quartiers distincts et pour pouvoir y accéder, vous devrez payer le coût, en ressources, indiqué sur le partie centrale du plateau. A noté que ce disque central pivote d’un cran à chaque tour. Le coût d’accès varie donc à chaque tour et pour chaque quartier. En revanche, la ressource payée pour accéder au quartier est déduite du coût de l’action, si elle correspond.
Dans les différents quartiers, vous pourrez ensuite dépenser des ressources pour bâtir la chambre funéraire contre des points de prestige. Vous pourrez aussi utiliser vos ressources pour en échanger, pour vous adjoindre les services de nobles et de leurs capacités spéciales. Vous aurez aussi l’opportunité de récolter des bonus ou différents jetons qui vous faciliteront l’accès à certains quartiers, vous donneront des ressources supplémentaires ou des points de prestige. Quand vous ne pouvez plus effectuer d’action, vous passez votre tour. Et quand chacun a passé, un nouveau tour peut commencer.
A la fin des cinq manches, des points de prestige sont attribués aux joueurs par rapport aux sept grands « axes » du jeu qui permettent de récolter des points menant vers la victoire.
Nil doutes que vous apprécierez…
Pharaon était un titre que nous attendions de pied ferme. Nous avons suivi son développement avec beaucoup d’attention ; c’est dire si nos attentes étaient hautes. Et bien évidemment, à la découverte de la boîte, impossible de rester de marbre face au magnifique travail d’illustration de Christine Alcouffe. Car oui, c’est la première chose qui saute aux yeux ! On en prend véritablement plein la vue et on aurait presque du mal à se dire que les visuels sont bel et bien des éléments de jeu et non de vrais hiéroglyphes. Le travail de recherche et le rendu auront donc réussi à nous émerveiller. Bluffant !
Mais le visuel ne peut suffire à lui seul. Installons-nous donc confortablement sur les bords du Nil et regardons ce qui se cache à l’intérieur de ce précieux coffret. Bien sûr, un plateau de jeu ! Mais un plateau qui se présente en cinq parties, que les joueurs devront assembler. On y trouve encore la roue des actions, c’est-à-dire l’élément central pivotable. Ajoutez à cela 120 jetons de ressources dans un carton très épais, une bonne quantité de tokens en carton, 56 cartes de jeu dans deux formats différents, plus de 70 cubes et disques en bois, un sac en tissu, un plateau pyramide, des plateaux pour le mode solo, et un grand livret de règles. Catch Up Games est un éditeur qui dispose d’un excellent savoir-faire dans le choix des composants et la production s’en ressent. Des éléments produits avec soin et un matériel harmonieux ; encore une fois, cet opus a tout bon !
Avec le thème du jeu, on se retrouve clairement au cœur de l’Égypte. Visuellement, tout y fait penser. En revanche, sur un jeu qui propose essentiellement une salade de points de victoire (ou plutôt un couscous pour rester dans le thème), ce n’est pas toujours simple de se dire que les actions que nous effectuons sont directement liées au thème. On pousse des cubes en bois, on récupère des cartes, on échange des jetons pour les ressources… Pas très égyptien tout cela nous direz-vous ! Effectivement, mais on ne jette pas la pierre aux auteurs ni à l’éditeur. Cela aurait été difficile de faire autrement. Et une fois plongés dans l’ambiance et dans votre stratégie, vous aurez bien d’autres choses à penser qu’à Cléopâtre de profil, trampouillant délicatement son petit orteil dans du lait d’ânesse ! Oui… on a le droit de dire ce qu’on veut !
La règle du jeu n’a pas été retranscrite par des scribes sur du papyrus d’époque (dommage !) mais tient sur un grand livret de douze pages. Un feuillet relativement dense, maquetté sur trois colonnes mais qui se lit particulièrement bien. Tout y est très bien expliqué, intelligemment présenté et de manière chronologique. De nombreux schémas et illustrations viennent ponctuer des exemples de tour de jeu, un résumé des tuiles et des cartes et même un tableau de description des symboles et pictogrammes rencontrés dans le jeu. Efficacité, clarté et expérience, encore une fois tout cela n’est pas le fruit d’une improvisation. Un livret de règles comme on aimerait en voir plus souvent.
Côté mise en place, comptez cinq minutes pour décider de la composition du plateau avec les autres joueurs. Mais aussi pour trier les quelques composants, mettre en place les tuiles et les cartes, et distribuer les ressources. Rien de bien méchant. Ça y est, vous êtes enfin prêts pour une immersion au pays des chats…
Apprendre l’égyptien et traduire les hiéroglyphes n’est pas chose aisée. Heureusement, ce n’est pas du tout ce qu’on vous demande et dans Pharaon, la prise en main du jeu en sera que bien plus simple. Ouf ! Avouez que vous avez eu un peu peur pour le coup ? On vous le disait, le travail d’édition et d’illustration a impliqué la réalisation de nombreux petits pictogrammes. Des éléments de gameplay qui vont indubitablement nous aider à la prise en main. Par ailleurs, le tour de jeu est extrêmement simple avec les cinq actions disponibles. On paie ce que le jeu nous demande, on effectue ses actions et quand on ne peut plus jouer, un nouveau tour commence. Facile à comprendre mais aussi facile à expliquer à d’autres joueurs, Pharaon propose donc un accessibilité optimale.
C’est ensuite que les choses vont se compliquer. Ou plutôt pour lesquelles vous devrez mettre vos neurones au travail. En effet, Pharaon est un jeu relativement exigeant en matière de mécanismes. Si son tour de jeu repose sur une base très accessible, le gameplay va en revanche demander une certaine courbe d’apprentissage. Ainsi, on retrouve de la gestion de ressources et des combinaisons qu’il faudra essayer de mettre en place pour optimiser ses actions. Les combos auront aussi une place importante dans votre stratégie puisqu’il faudra procéder de manière logique et ordonnée. Dans Pharaon, vous constaterez rapidement que la planification et l’anticipation ne sont pas des termes qu’il faut prendre à la légère. Avec la roue du plateau de jeu qui bouge à chaque tour, les éléments à récupérer pour les phases suivantes et même les objectifs qu’il ne faut pas perdre de vue, préparer son jeu à l’avance se veut indispensable. Tout comme il faudra aussi, dans certains quartiers, saisir les opportunités qui s’offrent à vous. Au final, on se retrouve avec un très vaste panel de possibilités et de nombreux axes de scoring ; encore un jeu dans lequel « on ne peut pas tout faire » ! Et c’est à partir de ce moment-là que votre cerveau va commencer à chauffer. Gérer toutes les actions possibles, être opportuniste, surveiller les autres, anticiper les déplacements de la roue, prévoir son jeu plusieurs tours à l’avance, ne pas perdre de vue les impératifs rapportant des points de prestige… pas si simple !
A ce propos, maintenant qu’on a pris un petit imhotep rafraîchissant et que le vent apporte un peu de légèreté sur la plaine du Nil, ouvrons une parenthèse pour un retour d’expérience. Lors de nos premières parties de découvertes, nous avons été confrontés à un élément plutôt surprenant. Comme vous le savez désormais, les paramètres à gérer et à anticiper sont nombreux dans Pharaon. Ainsi, nous nous sommes étonnamment retrouvés, en fin de partie, avec des joueurs pratiquement à égalité. Et ce qui a permis de les départager, reposait sur différents axes de scoring qui avaient été un peu mis de côté durant la partie. Ainsi, c’était la chance qui déterminait le vainqueur avec un objectif atteint sans le vouloir par un des joueurs. Cela nous a paru quelque peu improbable dans un jeu où la planification est au cœur du gameplay. Après discussion avec l’éditeur (qu’on remercie au passage pour sa disponibilité), il s’avère qu’un élément essentiel doit être pris en compte. Si le jeu permet effectivement une belle liberté dans les différentes façons de marquer des points de prestige, il ne faut pas oublier les objectifs des Dieux. Ceux qui bordent les différents quartiers. Pour une parfaite maîtrise du jeu, il s’avère essentiel d’utiliser ces objectifs comme fils rouges de votre stratégie. C’était pourtant évident nous direz-vous, mais pourtant, cela a créé chez nous une situation plutôt cocasse. Et même « inédite » selon les dires de Catch Up Games. Dès lors, vous voilà maintenant au parfum.
Abordons à présent l’originalité du gameplay. Pour la partie gestion de ressources, rien de bien novateur, même si l’ensemble concorde parfaitement et que le tout se veut très cohérent. Pour nous, toute l’innovation de Pharaon repose sur cette roue qui apporte un fabuleux twist à la partie. Le fait de changer constamment les paramètres, dans un jeu de gestion de ressources, est à la fois déroutant et terriblement excitant. Les auteurs marquent là un joli point et comme on dit chez nous « cela en vaut le détour », même si l’Égypte ce n’est pas la porte à côté !
En matière de rejouabilité, Pharaon offre de quoi renouveler les parties. Et c’est peu de le dire ! Souvenez-vous, le plateau de jeu se décompose en cinq parties. Ainsi, vous pouvez l’assembler à votre guise ce qui va générer à chaque fois un changement d’objectifs (ces derniers se trouvent de part et d’autre des différents segments du plateau). En outre, toutes les cartes ne sont pas utilisées pendant un partie, et finalement, les multiples façons de marquer des points, vont assurer un excellent renouvellement du jeu. Encore un point fort pour Pharaon, qui décidément cumule les petits « vu » de couleur verte sur notre checkliste.
En revanche, pas de forte interaction dans cet opus. Pharaon propose certes de quoi se disputer certains emplacements et composants sur le plateau central, mais on s’arrête là. Tout le principe du jeu consiste à optimiser son jeu pour marquer le plus de points de prestige. L’échange avec les autres joueurs reste donc limité mais cela ne nous a pas du tout dérangés. Au contraire, on a plutôt apprécié le fait de pouvoir se concentrer sur notre jeu pour optimiser ce qui devait l’être.
Au final, Catch Up Games nous offre une nouvelle fois une expérience ludique passionnante avec un jeu travaillé. Travaillé par son graphisme qui nous met des paillettes dans les yeux et par ses mécanismes qui ne manquent pas d’originalité et d’exigence. Derrière un tour de jeu simple à prendre en main, se cache un système où la réflexion et l’anticipation auront su faire notre bonheur de gamers. Bien sûr, il faudra accepter quelques parties de découverte pour en maîtriser toutes les subtilités et pour pousser votre stratégie à son maximum. Notre impression se veut ainsi très positive et pour nous, Pharaon se destine essentiellement à des joueurs qui aiment planifier et qui ne laissent que peu de place à la chance. Le thème de l’Egypte vient, in fine, apporter la petite cerise sur le gâteau, même si au final, les mécanismes vont s’imposer sur la thématique. Encore un jeu passionnant issu des studios lyonnais de Cath Up et un opus à ne pas louper si vous appréciez de mettre vos méninges à contribution. A deux, à trois, à quatre ou même dans sa configuration maximale, le jeu demeure en tous temps pertinent et extrêmement intéressant.
A noter encore que Pharaon dispose d’un mode solo. Un mode solo spécifiquement travaillé et pas juste rajouté par hasard. Ce mode solo mérite à notre avis un article à lui seul et nous y reviendrons avec plaisir dans un prochain sujet.
Maintenant, à vous de vous forger votre propre avis.
La règle du jeu en français
Un explicatif complet de la règle en vidéo
La fiche de Pharaon sur Board Game Geek
Le site de l’éditeur Catch Up Games