1er Septembre 1939, il fait plutôt chaud et humide ce jour-là sur le front polonais. Le jour d’avant la station radar de Gliwice a été subitement attaquée par des soldats polonais, mais en réalité, il s’agit d’une fausse opération montée de toutes pièces par les allemands. L’invasion de la Pologne, en plus de sa revendication territoriale pour récupérer le couloir de Dantzig, a besoin d’une justification, une réponse honorable à une vile agression sournoise polonaise fictive. Même les dictatures doivent apparemment justifier une guerre, la propagande nazie fera le reste. Même la Wehrmacht est déjà prête à bondir, les armées allemandes sont disposées tout le long de la frontière avec la Pologne. De la Prusse orientale jusqu’à la Slovaquie au sud, la Pologne est malheureusement cernée géographiquement aux trois quarts par ses nouveaux ennemis qui ont renié leur pacte de non-agression de 1934. Les six divisions de panzer s’élancent dans la plaine polonaise. Les fourmis de métal sillonnent la campagne et progressent dans leur quête d’objectifs stratégiques aidés en l’air par les Ju87 Stuka, dont les piqués mortels changent la donne de la guerre. Hitler s’est trompé, le manipulateur de Munich pensait encore se jouer des timorées démocraties occidentales mais le 3 septembre, l’empire britannique et la république française déclarent la guerre à l’Allemagne nazie après un ultimatum rejeté. Le monde retient son souffle. Malgré la vaillante résistance des troupes polonaises, le 14 septembre, par une prise en tenaille de différentes armées couleur feldgrau, Varsovie est assiégée. Trois jours plus tard selon l’accord secret du pacte de non-agression du 23 août 1939 entre l’Union soviétique et l’Allemagne Nazie, l’armée soviétique rentre en Pologne afin de s’en approprier sa partie orientale. La guerre à l’est est déjà finie, les regards se tournent désormais vers l’ouest où la timide invasion française de la Sarre a avorté. Pendant ce temps, et depuis 1937, l’armée impériale japonaise continue de grignoter la Chine mais la onzième armée nippone du général Nishio est arrêtée en septembre 1939 par les courageuses troupes chinoises près de la ville de Changsha.
La seconde guerre mondiale vient de commencer. De multiples batailles meurtrières, décisives, acharnées auront lieu sur des multiples théâtres. Des déserts brûlants de Libye aux jungles suffocantes de Guadalcanal, de l’île aride de Crête aux plaines boueuses de l’Ukraine, des monts escarpés de Monte Cassino aux plages immenses de Normandie, des vagues glacées de l’Atlantique nord aux atolls paradisiaques du Pacifique. Une guerre globale faite de rebondissements, de surprises, d’offensives terribles, de retournements de situation désespérés et de lutte héroïque. Elle ne s’arrêtera que 2191 jours plus tard, en Europe, avec le drapeau soviétique couleur sang, symbole du rouleau compresseur humain russe, planté sur les ruines fumantes du Reichstag de Berlin. Mais aussi après l’incinération de deux cités nippones, en rade de Tokyo, sur le cuirassé rutilant moderne USS Missouri symbole du rouleau compresseur industriel des Etats-Unis d’Amérique.
Termine au logis
Parlons maintenant de ce jeu, Quartermaster Général, et tout d’abord avant de commencer un petit mot d’explication de la signification de ce terme « Quartermaster Général ». Il s’agit en fait d’un terme anglo-saxon, (et adopté aussi par les allemands) probablement depuis les guerres en dentelles ou Napoléoniennes (Wellington avait effectivement un Quartermaster Général à Waterloo) et qui n’a pas vraiment d’équivalent en français. Il s’agit donc d’un Général proche du Commandant en chef, qui est l’intendant en charge de la logistique, de l’équipement et du bon déroulement des opérations d’une armée. On pourrait dire que ce qui s’en rapproche le plus en français, serait le Chef d’Etat-Major, comme le fut le Maréchal Berthier pour Napoléon jusqu’en 1814 et ensuite, le Maréchal Soult en 1815.
L’engrenage de la Guerre
Et donc Quartermaster Général (QMG) est un jeu de l’auteur Ian Brody édité dans sa version originale par Griggling Games et dans sa version française par Asyncron. Quartermaster Général est ce qu’on appelle aujourd’hui un Warteau. C’est-à-dire un jeu connoté historique mais d’une complexité et d’une élégance dignes des jeux de plateaux modernes. La rencontre symbiotique ou l’alliance de forts thèmes de l’Histoire et de mécaniques bien huilées des jeux de sociétés d’aujourd’hui. Quartermaster Général propose donc de nous faire revivre les heures sombres de la Seconde guerre mondiale dans son intégralité historique et sa globalité géographique. Et ce en un temps de jeu d’une durée acceptable, environ 1h30 par partie. Cela semblait irréalisable, au premier abord, une gageure tout à fait impossible, de simuler toute la Seconde guerre mondiale à six joueurs en une durée plutôt courte (des parties en seulement 1 heure sont possibles, si, si). Ainsi, il faut tirer notre chapeau à ce jeu aux engrenages maîtrisés et souligner l’exploit. Le pari se révèle plus que gagnant pour ce jeu original et ultra rapide. Nous le verrons plus en avant.
QMG est avant tout un jeu de decks asymétriques et de placement (aucun déplacement) sur une carte stratégique mondiale sur le thème de la dernière guerre à l’échelle ultra-stratégique avec tous les protagonistes principaux. L’idée forte aussi du jeu, c’est que le deck qui permet de réaliser des actions au travers des cartes, est aussi représentatif des ressources de la nation en question. C’est-à-dire qu’on peut aussi faire défausser le deck adverse au travers de guerre économiques (U-boots, bombardiers stratégiques, etc…) et donc réduire à la fois les possibilités d’actions de l’adversaire, mais aussi lui faire perdre des points de victoire (PV) une fois son deck terminé.
Une Guerre de Matériel
Dans Quartermaster Général deux camps s’opposent. D’un côté les Alliés, avec bien sûr les Etats-Unis d’Amérique aux unités de couleur vert kaki, l’Empire Britannique couleur jaune et l’Union soviétique couleur rouge (non pas possible !). Et de l’autre, on retrouve l’Axe avec les Allemands couleur gris, les Italiens couleur violet en VO et vert clair en VF, et les Japonais couleur blanche.
Une petite digression rapide mais intéressante sur le matériel. La carte est absolument sublime et bien lisible, représentant le monde entier avec ses zones terrestres et maritimes. Tant au niveau des détroits (passage d’une mer à une autre) représentés par une flèche rouge avec une ancre, que des étoiles symbolisant les lieux stratégiques et les espaces nationaux, synonymes de points de victoire et de centres de ravitaillement. Les zones et les couleurs sont claires et donnent de suite envie de rentrer dans le vif du sujet.
Les unités, qui sont en nombre différent en fonction de la nation jouée, sont en bois, surtout celles de l’Italien (non on plaisante) et cela donne un rendu magnifique. Plus de luxe que de simple figurines plastiques à la Axis and Allies. On prend plaisir à manipuler les petits tanks meeples de différentes couleurs qui représentent les armées et les petits flottes meeples qui représentent des… flottes (faites un effort quand même !). Car même si on n’est pas fan d’Histoire, une fois tout installé, plateau, cartes et meeples, on a une furieuse envie de déclencher la guerre et d’en découdre.
Feux de Camps
Point de France dans nos alliés, le naufrage de cette grande puissance en 1940 a eu raison de son existence dans les jeux traitant de toute la représentation temporelle de la seconde guerre mondiale. Cependant, une extension sortie plus tard, « Alternate Histories », propose effectivement des troupes françaises et chinoises mais pas en tant que joueur indépendant. A relever que cette extension n’existe qu’en anglais.
On peut aussi noter le parti pris de l’auteur, d’intégrer l’Italie fasciste en tant que joueur à part entière étant donné son plus faible comportement combatif que les autres belligérants et ses capacités réduites durant la Seconde guerre mondiale. Cependant ses faiblesses sont bien intégrées au jeu, nous le verrons. Mais surtout, le fait de jouer de manière équilibrée en trois contre trois, apporte toute sa saveur et sa tension au jeu. Car, oui, on ne gagne pas seul à Quartermaster Général, c’est un camp contre l’autre.
Un petit mot encore sur le nombre de joueurs. Le nombre optimal est de six et il vaut mieux effectivement jouer à six pour en apprécier toutes les interactions et les subtilités. Après on peut jouer aussi de deux joueurs jusqu’à six mais à moins de six, les joueurs manipuleront et prendront les destinées de plus d’une nation à la fois car tous les belligérants doivent être absolument joués dans Quartermaster Général. Donc invitez vos amis, votre famille, votre belle famille, vos cousins germains (pour jouer les allemands) vos lointains cousins, vos voisins, les voisins de vos voisins, les femmes de vos voisins, le chien du voisin, mais jouez à six !
Le tour de jeu se décompose toujours comme suit, et ce dans le même ordre : Italie, Royaume-Uni, Japon, Union Soviétique, Allemagne, Etats-Unis.
La Guerre des Etoiles
Quartermaster Général se joue en un certain de nombre de tours. Vingt pour être plus précis et le camp (Axe ou Alliés) possédant le plus de points de victoire à la fin, l’emporte. C’est simple et carré ! Mais, car il y a un mais… il est aussi possible de gagner en mort subite et là cela devient aussi intéressant car il faut avoir plus de trente points de victoire de différence à un moment donné, et là c’est la victoire automatique. Alors bien que ce dernier élément de trente points de différence fut probablement élaboré pour permettre de prendre en compte un blitz de l’Axe en début de guerre, il se peut que les alliés gagnent aussi en mort subite par ce biais (si, si c’est possible). Bref tout peut arriver et il faut faire attention à tout dans ce jeu. (Dans la VO, la mort subite comprend aussi en plus la capture de deux espaces nationaux du camp d’en face (Londres et Moscou par exemple) et le premier camp arrivant à 400 points sur l’échelle des PV) :
Et comment marque-t-on ces fameux points de victoire ? Les points de victoires sont essentiellement marqués pendant chaque tour de chaque puissance. Pour cela, il faut contrôler une zone contenant une étoile. Chaque étoile rapportant deux points. On voit de suite qu’il faut, pour avancer plus vite que l’autre camp en point de victoire, avoir un différentiel positif à la fin du tour une fois que toutes les nations ont scoré. En clair, un camp doit posséder plus d’étoiles que l’autre pour espérer gagner.
Mort Subite et Deck Composition
La séquence de jeu commence par le fait de jouer une carte et une seule. Ensuite, on vérifie son ravitaillement jusqu’à sa bonne étoile, puis on marque les points de victoire correspondant aux nombres d’étoiles contrôlées. Enfin, on défausse autant de cartes souhaitées et on en re-pioche jusqu’à compléter à nouveau sa main de sept cartes.
Rentrons maintenant de plein pied dans l’originalité de la mécanique de Quartermaster Général. Tout se gère avec les decks ou paquets de cartes individuels par nation. Chaque nation possède son propre deck avec un nombre de cartes different au total et des types de cartes différentes en nombre inégales elles aussi.
Là où vient la subtilité, c’est que ce deck représente à la fois nos capacités d’actions, mais aussi nos ressources, car une fois le deck épuisé, commencent les problèmes. Et on va perdre des PV dès qu’on aura l’obligation de défausser et que l’on ne pourra plus le faire ! Et ça va vite. Très vite ! Donc, un joueur avec un deck épuisé peut rapidement entraîner dans sa chute son camp même si les deux autres sont en bonne posture. Sans deck c’est foutu.
Les nations possèdent donc un nombre de cartes different avec les plus gros decks pour les USA (on s’en doutait) et l’Allemagne avec 40 cartes chacun. Vient ensuite le Royaume-Uni avec 39 cartes et l’URSS avec 34 cartes. Puis le Japon avec 33 cartes, l’Italie fermant la marche avec seulement 30 cartes en tout.
Alors, de quoi se compose ces fameux decks ? Et on ne parle pas ici de Card-driven game – ou jeu piloté par les cartes en français – Pourquoi ? Parce que les Card-driven games inventés en 1994 par Mark Herman et son glorieux We the People de Avalon Hill obéissent à un cahier de charge ludique très précis. Notamment parce que les cartes sont à la fois des évènements ou des points d’actions. Ici c’est diffèrent, mais bon si vous voulez appeler ce jeu un card-driven, on ne va pas faire les hérétiques non plus.
Les cartes sont de différents types. On trouve les cartes de construction, construction d’armées et de flottes. Et il suffit qu’un espace soit libre de toutes armées ou flottes ennemies et ravitaillées, et… hop ! on place nos forces dessus, en jouant ce genre de carte à son tour. Simple et rapide ! Ensuite, on trouve les cartes de batailles avec des batailles terrestre et des batailles navale. Là encore, aucun point de force à comparer, de jets de dés à lancer ou de dissuasion nucléaire. Le combat est simple, on attaque (on joue la carte et on enlève l’unité adverse, elle est détruite), alors on gagne, « point barre ». Vous connaissez le célèbre proverbe l’attaque est la meilleure défense ? Et bien ce doit être aussi le proverbe préféré de Ian Brody !
Ensuite, nous avons des cartes de statuts qu’on pose devant soi et qui donneront un avantage en fonction d’une situation particulière. On posera bien évidemment des statuts si on se trouve dans une situation plutôt calme ou moins critique pour se préparer à une attaque ou une contre-attaque. Il y a aussi les cartes de répliques qui sont des cartes qu’on pose devant soi pendant son tour mais qui restent face cachée et qui seront révélées pour leur effet, pendant le tour d’un adversaire ou pendant son propre tour. Par contre, c’est du one-shot, usage unique et elles sont défaussées ensuite. Puis, il y a les cartes Evenements qui vont activer tout un panel d’options tactico-stratégiques intéressantes y compris pour ses alliés (ou ses axés). De construction ou de destruction, certains évènements vont aussi déclencher le marquage de points de victoire selon des conditions particulières, essentiellement d’occupation territoriale. Et enfin viennent les cartes de guerres économiques qui vont faire défausser des cartes à certains adversaires avec certaines conditions de présence ou de distance.
Le tour le plus long
Et pour dynamiser un jeu d’une telle ampleur, chaque nation ne peut jouer qu’une seule carte à son tour. C’est à la fois un cruel dilemme mais aussi un risque calculé, car pour pouvoir enchaîner avec votre carte suivante, il faut se dire que cinq autres cartes seront jouées avant que cela revienne à votre tour, dont deux de vos alliés. Ce mécanisme est donc très prenant de tension et de choix même si stratégiquement limité. Mais si on veut le dynamisme, il faut sacrifier les tergiversations et les multiples options de chacun à chaque tour. C’est un parfait compromis comme promis.
Au début de la partie, chaque nation démarre le jeu avec une armée dans son espace national (son Home country). Et chaque joueur pioche les dix premières cartes de son deck. Après un difficile sacrifice, il faut défausser trois cartes, pour garder seulement un total de sept cartes en main pour débuter la guerre. Attention, prêt, Blitzez !
Une Blitzkrieg Cerise s’il vous plait
Toutes les nations sont intéressantes et complètement différentes à jouer, non seulement en fonction de leur deck respectif, dont la connaissance au préalable est un atout non négligeable, mais aussi en fonction de la main du moment. Mais encore de ce que font vos alliés et de ce que font vos ennemis. On retrouve une sorte d’ambiance de jeu de tarot où tout le monde s’épie, se juge et se lâche en jouant une carte en espérant avoir bien calculé son coup.
Par exemple, l’Allemand est assez puissant et doit diriger la partie terrestre du camp de l’axe. Son jeu comporte de nombreuses cartes statuts, notamment qui permettent de construire après avoir attaqué et inversement. Sa stratégie est intéressante car un blitz est possible mais sera moins puissant qu’une fois les statuts posés, mais ça prend du temps. Néanmoins, cette prenante réflexion sur le joueur germanique est valable aussi pour toutes les autres nations. C’est-à-dire avoir le choix entre prendre son temps pour construire son moteur de combo pour être plus puissant (par exemple le Japon avec ses cartes répliques) ou bien foncer en ayant une approche plus agressive mais plus vulnérable.
Combo belge et partage de l’Afrique
Alors QMG est un jeu d’optimisation de sa main et de son deck, il faut tirer le meilleur de son deck au bon moment et que les meilleures cartes selon un contexte donné puissent apporter leur maximum d’impact au meilleur moment. C’est un jeu de combinaisons de pouvoirs, de cartes aussi. Le fait de jouer qu’une seule carte peut être amplifié par certains statuts permettant des effets rappelant la blitzkrieg terrestre (Allemagne) ou navale (Etats-Unis)… parfois. Le tout aussi étant de pouvoir enchaîner des cartes intéressantes en fonction de son objectif sans subir de contre-attaque ou en détournant l’attention pour diluer ses intérêts stratégiques dans la tête de ses adversaires.
Dans la séquence de jeu, on a la possibilité, à son tour, une fois sa carte jouée, de jeter toutes les cartes de sa main et d’en re-piocher autant. Choix risqué mais parfois décisif. En effet si on a besoin d’un certain type de carte pour une action déterminante, on peut essayer de la faire venir en main plus rapidement. Sachant aussi que les cartes défaussées sont perdues, que le deck diminue et que la fin viendra plus vite. La probabilité d’obtenir la carte souhaitée augmente sur le court terme mais celle de vos chances de succès sur le long terme diminue. Excellentissime, peu de jeu propose de telles décisions cruciales !
Tenir jusqu’au U-Boot
Alors les cartes de guerre économique peuvent faire aussi très mal et consiste à « meuler » (pour les joueurs de « Magic » dans la salle) le deck d’une des nations de l’autre camp, c’est-à-dire faire défausser des cartes de sa pioche, directement dans sa défausse. Alors même si ce genre de carte peut sembler moins puissant pendant le jeu (sauf évidemment quand un deck adverse s’épuise), il est absolument jouissif de voir passer à la défausse un statut ou un évènement très puissant du camp adverse. En théorie, il ne reviendra plus jamais ! Mais on peut aussi baser ses stratégies sur la guerre économique, en fonction des cartes de sa main et de son deck ou les utiliser dans une stratégie alternative et combinatoire. Bref, toutes les options sont sur la table.
Surtout penser à prendre de la flotte
C’est dans un jeu comme QMG que l’importance de la suprématie navale chère au penseur stratégique Mahan, prend toute sa dimension. La maîtrise des mers est une clé de la victoire à QMG, et elle est extrêmement importante. Sinon même décisive pour le Royaume-Uni, l’Italie, le Japon et les Etats-Unis. Une subtilité est qu’on ne peut placer une chaîne de flottes d’une zone à une autre, que si on contrôle une zone terrestre adjacente à cette zone de mer. Et cela devient alors un casse-tête subtil spécialement dans la zone du Pacifique. Cela était bien réel de 41 à 45, car les flottes devaient se re-baser et cela explique l’avancée méticuleuse des américains avec la stratégie du saute-mouton, afin de se rapprocher du Japon au cours des dernières années de la guerre. En effet, il va falloir alterner la prise d’îles, comme Hawai, Iwo Jima, Philippines ou Nouvelle Guinée avec la création de flottes pour avancer dans le Pacifique. Dans un sens comme dans l’autre.
Décision mes cœurs
Encore un mauvais jeu de mots (il y en a pleins dans cet article) sur Decision Makers, c’est-à-dire la prise de décision collégiale de chaque camp sans se parler. Comment savoir ce que l’autre peut avoir dans sa main ? Quelle carte puis-je jouer pour que non seulement elle me soit bénéfique mais qu’elle puisse aussi aider un de mes alliés ? Généralement les joueurs qui jouent chacun dans leur coin sans voir ce que font leurs pairs, ont que peu de chances de gagner à QMG. Inversément, quand deux partenaires unissent leurs efforts contre un seul adversaire (URSS et Etats-Unis contre Japon, Italiens et Allemands contre URSS, Italiens et Japonais contre Royaume-Uni, etc…), cette association subjective et secrète peut être fatale à un maillon de l’alliance adverse. Les alliances sont utiles aussi quand on peut ajouter une unité là ou il y en a déjà une amie (car normalement c’est juste une unité par zone). Cela permet de verrouiller une zone et de la protéger contre les attaques. Les camps jouant alternativement cela permet aussi de pouvoir protéger cette zone à intervalles réguliers.
Guerre qui roule n’amasse pas mousse
Un point intéressant qu’on peut voir dans les parties de Quartermaster Général est qu’il faut se concentrer sur des objectifs mais sans s’acharner non plus. Le problème étant de savoir si l’adversaire va vous contrer encore une dernière fois ou si c’était véritablement sa dernière carte bataille. Parfois, il faut simplement faire preuve d’adaptation et réorienter sa stratégie, car s’obstiner à prendre une zone en jouant de multiples cartes constructions ou batailles peut vous épuiser en cartes de ce type quand elles auraient été plus utiles ailleurs. Ou plus tard ! Le fait de prendre l’offensive et d’être agressif peut parfois être contre-productif car vous définissez et montrez votre stratégie aux yeux de vos adversaires et ceux-ci seront plus à même de vous contrer. Une posture attentiste peut avoir des avantages en jouant des évènements et en gardant ses bonnes cartes construction et bataille pour un moment décisif. Mais tout est une question de timing dans ce jeu, et en fonction de la nation, il faut soit aller vite ou soit temporiser. La course aux étoiles est un leurre, il faut bien entendu les capturer mais avec parcimonie et méthode. En revanche, bien se préparer à défendre ses conquêtes durement acquises. Le ravitaillement est aussi très important car il peut non seulement limiter votre expansion, (sachant que chaque étoile est une source de ravitaillement), mais il faut bien faire attention à ne pas se faire couper une ligne d’unités. Une progression plus compacte (mais plus lente) est moins risquée. Encore un dilemme de gestion de sa stratégie à QMG.
L’Histoire alternative en courant
Alors dans QMG on peut explorer toutes les options de what-if ou d’histoire alternative qui aurait pu se dérouler de 39-45. Ce jeu constituant une vraie usine de what-if’s, comme voir apparaître les nazis en Asie ou des Japonais envahissant l’Inde ou des Allemands à Londres ! Nous sommes loin de la linéarité de certains jeux sur la Seconde guerre mondiale qui contraignent trop les conditions de jeu pour coller à la réalité. Mais peut-on dire qu’on s’éloigne de la réalité si, on ignore la probabilité qu’un tel évènement fictif se réalise ? Est-ce complétement utopique et irréalisable ? Les Japonais pouvaient-ils vraiment capturer l’Australie ? Pouvait-on voir les Italiens entrer dans Moscou ?
Du fait d’avoir pondu un jeu qui se lave de toutes ses considérations probabilistiques d’occurrence, d’évènements pendant la dernière guerre, le jeu lui-même par ses cartes et ses unités, génère un choix d’actions aux joueurs qui va donner forme à un certain scenario de la Seconde guerre mondiale. Celui qui aurait pu se produire, équiprobable grâce aux mêmes moyens, du déroulement réel qui s’est produit dans notre Histoire.
Et rien que le fait de jouer à l’élaboration de « notre » Seconde guerre mondiale, celle qu’on a choisi de jouer au travers des possibilités d’actions offertes par ce formidable jeu. Cela nous ouvre les portes de la réflexion, de la connaissance et de l’interrogation de ce marqueur indélébile de l’Histoire humaine, qu’est la guerre 39-45 tout en jouant. Un jeu où les questions valent autant que les réponses.
Une brève Histoire de la guerre
Sans conteste, nous pouvons affirmer finalement que nous avons là affaire à un très grand jeu de stratégie. Certes, l’aspect historique a été un peu bouleversé pour rendre la jouabilité plus accessible mais réaliser une telle prouesse ludique de combiner, Histoire, intérêt, tension, réflexion stratégique, coordination, retournement de situation et durée de jeu avec brio révèle une qualité extrêmement intéressante et une durabilité de jeu égal à la variabilité des situations. Toutes les questions sur la conduite de la guerre des dirigeants de l’époque sont résumées dans ce jeu par une vision globale et planétaire des problématiques stratégiques. Et le jeu est un choix constant, un dilemme cornélien à six qui permet à la fois une élaboration d’une stratégie sur le long terme, pour la victoire aux points, mais antagoniste (ou pas, et là est toute la difficulté dans la maîtrise du jeu) de celle à court terme pour l’effondrement et la mort subite.
Versions et aversion
Encore quelques mots pour dire que la version française actuelle de QMG proposée par Asyncron intègre l’extension aéronavale. C’est à dire des cartes en plus d’un nouveau type (les soutiens) et des unités aériennes qui protègent entre autres vos unités terrestres et navales.
Etant donné le succès planétaire de QMG, deux autres jeux basés sur le même système ont été développés et sont disponibles sur le marché. Ceux-ci intègrent des améliorations au système de jeu de QMG, il s’agit de Victory or Death (non point de William Travis ici) sur la guerre du Péloponnèse pour quatre joueurs, et QMG 1914 sur la première guerre mondiale pour 5 joueurs. On souhaite bien évidemment longue vie à ce système bien pensé et adaptable pour de nombreux autres conflits historiques.
La règle du jeu en français
La fiche du jeu sur le site de BGG
Le site de l’éditeur Asyncron