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Britannia, du passé faisons table en marbre

par jeudeclick
Publié : Dernière mise à jour le 974 vues 10 minutes de lecture

Si, pénétrant dans une obscure taverne des Downlands, vos oreilles gelées sont assaillies de « Grelotine », « Passe-grelots », « Pas mou le caillou », « Grelotte ça picote », alors vous ne devriez pas tarder à rencontrer vos chevaliers Karadoc et Perceval se tapant sur les mains et les genoux.

Cette rencontre n’augure pas de suite plus glorieuse. Vous êtes le Roi Arthur, certes… Mais seulement pour un petit tour de jeu. Votre escorte de deux chevaliers paraît dérisoire face à la tâche qui vous incombe… L’empire romain néglige ses frontières lointaines et les Saxons comme les Angles ont déjà pris les mers du Nord et Frisonne. Pour remobiliser les soldats d’un empire en déclin et tenir le mur d’Hadrien vous ne pourrez compter que sur votre maigre escorte et sur vos alliés Scots qui peinent à débarquer en mer d’Irlande.

Un choix s’offre à vous. Empoigner Karadoc et Perceval, prendre la direction du Nord, l’épée à la main, en comptant sur de solides jets de dés pour glaner d’ultimes points de victoire, ou alors vous asseoir et rejoindre leur partie de Cul de chouette en criant « Chante Sloubi ! ». Retranchés ainsi dans la région montagneuse des Downlands, la prise de risque est minime et vous pourrez préparer l’arrivée des Dubliners puis des Norvégiens que vous contrôlerez dans 5 tours de jeu.

Nous avons osé la mise en abyme du jeu dans le jeu quitte à flirter avec l’anachronisme… Mais ne vous méprenez pas, le Cul de chouette et Britannia partagent de nombreuses caractéristiques, parmi lesquelles la durée potentielle d’une partie et la richesse des règles d’exception. Une fois attablés avec 2 à 4 autres comparses, ne craignez pas d’ouvrir le livret de règles et de déranger l’aubergiste, vous êtes là pour 4 à 6 heures… à une vache près, hein… Ce n’est pas une science exacte !

5 heures de jeu… et 33 ans que ça dure

Première édition en 1986 sous la bannière britannique de Gibson Games, puis réimpression portée par l’américain Avalon Hill l’année suivante. Fantasy Flight Games (FFG) reprend le flambeau et la direction artistique en 2005 (avec notamment Corey Konieczka et Chritian T. Petersen au développement… ah oui, quand même !), enfin, EDGE ajoute un drapeau français sur la boîte quelques années plus tard. Depuis, FFG a décidé de ne pas ré-ré-imprimer de boîtes. Les droits de ce jeu culte qui a illuminé un temps le catalogue de l’éditeur minésotain appartiennent désormais à son auteur, Lewis Pulsipher. Lewis Pulsipher, auteur, blogueur, écrivain, professeur de gamedesign prolixe, entretient un mystère depuis un article posté sur le site Board Game Geek (BGG) en 2012.

Le mystère d’une éventuelle réédition de Britannia (Kickstarter est évoqué) comprenant notamment un mode de jeu plus réaliste nommé « mode épique» et l’intégration de l’Irlande au plateau de jeu. Une variante en duel sur un plateau plus petit est également envisagée. Ce projet est, aujourd’hui encore, discuté, développé, testé par l’auteur et une communauté de joueurs très actifs sur certains forums spécialisés et des groupes de discussion.

Mais comme l’écrit lui-même l’auteur dans son article de 2012, « n’oubliez pas que les projets n’aboutissent pas toujours ». Alors en attendant que le mystère se dissipe, et si vous souhaitez vous procurer le jeu, vous le trouverez sans forcer sur les sites de vente d’occasion.

De l’anachronisme à l’uchronie

Que votre plateau soit neuf ou de seconde main, Britannia vous permettra de revivre les invasions et les migrations qui ont façonné la Grande Bretagne entre 45 et 1085 après JC.

Sur le plateau, 17 peuples apparaîtront et disparaîtront plus ou moins glorieusement pendant les 16 tours de jeu qui séparent l’invasion romaine de l’invasion normande. Chaque joueur aura donc, entre ses mains, le destin de 4 à 6 peuples qu’il jouera en partie simultanément et en partie alternativement. Pour chacun de ces peuples, il devra marquer le maximum de points de victoire. Le vainqueur sera le joueur possédant le plus de points de victoire cumulés à la fin du tour 16.

Pour marquer des points, chaque peuple doit remplir des objectifs très précis, tel que contrôler des provinces spécifiques, éliminer les soldats d’un peuple ou assassiner un chef historique (Arthur retranché dans une taverne des Downlands par exemple !). Cette mécanique de jeu décourage les joueurs de s’éloigner de l’histoire réelle avec des mouvements ou des actions non réalistes. Mais une porte est entrouverte…

Avec de l’intrépidité, une bonne lecture du jeu et des jets de dés favorables, un joueur peut altérer grandement l’histoire de la Grande Bretagne et créer de véritables scénarios uchroniques. Que se serait-il passé si Arthur, à la tête de l’armée romano-british avait réussi à repousser l’invasion saxonne, plutôt que de s’enterrer dans les Downlands avec Perceval et Karadoc ? Dans Britannia, les joueurs déterminent la tournée d’un royaume.

Dans ce cadre de jeu ambitieux, Britannia utilise un découpage classique pour un jeu de conquête.

Ainsi, les 5 phases suivantes se succèdent sans discontinuité durant les 16 tours de jeu. Augmentation de la population, Mouvement des troupes, Résolution des combats et des déroutes, Repli des pillards et Surpopulation.

Les chiffres, ce n’est pas une science exacte figurez-vous !

Le thème historique et la mécanique principale du jeu amènent une immersion forte. Est-ce que le matériel appuie dans ce sens ? Oui sire ! Les jetons et les marqueurs sont en carton épais et sur ces éléments comme sur les 17 plateaux-peuples, une attention très particulière a été portée sur la composition, la clarté des symboles, l’iconographie et les illustrations.

D’une taille très confortable (86x54cm), le plateau est doté d’un graphisme élégant et accueille une « timeline » historique aussi claire et complète qu’essentielle au « gameplay ».

Ce plateau est une véritable invitation à la conquête… songez à ces 219 unités de 17 peuples différents se succédant devant vous, songez à ces nations réclamant la Bretwalda ou le Trône d’Angleterre. Songez à ce pauvre Arthur, coincé entre Karadoc et Perceval, incapable de concourir sérieusement au jeu des trônes.

Après trois éditions différentes, nous pouvons qualifier la règle du jeu, de très complète. Elle est également très agréable à lire (et relire) tant elle est aérée et émaillée de nombreux exemples illustrés, de notes historiques et de conseils de jeu… Et c’est d’autant plus essentiel que les allers-retours vers le livret de règles sont fréquents lors des premières parties. La réalité historique a un coût et une saveur spéciale : les règles d’exception !

La mise en place n’en demeure pas moins rapide et la prise en main, relativement simple puisque le joueur débutant est guidé dans ces choix par les objectifs des peuples qu’il contrôle. Une invitation à la conquête, n’est-il pas Sire ?

Mais la conquête ce n’est pas tout ! Rappelez-vous, que pour gagner il vous faudra optimiser les capacités et forces de chaque peuple que vous contrôlez pour respecter au mieux les objectifs historiques fixés et en tirer le plus de points de victoire possible. Tout en préparant le terrain pour le prochain peuple que vous contrôlerez. Alors oui ce wargame ne se laisse pas apprivoiser facilement !

Et chez Jeudéclick, nous aimons ces jeux riches et complexes. Ces jeux dans lesquels on plonge la tête la première et qui demandent efforts et investissement pour retrouver la surface. C’est du plaisir, c’est du fun, c’est le plaisir de surmonter la difficulté, c’est le plaisir de l’accomplissement, c’est du Hard fun !

Avec, en moyenne, 5 heures de jeu et de réflexion sur une partie standard, Britannia entre en effet directement dans la catégorie Hard Fun théorisée par Nicole Lazzaro. 5 heures de jeu, 5 heures de plaisir, 5 heures de retournements de situation, 5 heures intenses, ce sont 5 heures qui en semblent 2 ! Car oui, à chaque fois qu’un nouveau peuple débarque sur Britannia, les cartes sont rebattues. Un joueur dont le peuple est en déroute peut reprendre soudainement des couleurs avec l’invasion majeure de son nouveau peuple guidé par Harold, Cnut ou William.

Cette mécanique de peuples connaissant des temps forts successifs apporte un aspect sans doute inédit dans le jeu de conquête : le joueur à abattre n’existe pas. Il est remplacé par le peuple à abattre, et ce peuple à abattre change de main constamment. L’interaction déjà très forte quand il s’agit de se mettre dessus devient, avec Britannia, une interaction saine et sans acrimonie !

Mais peut-être pas sans frustration, car Britannia est livré avec un jeu de 5 dés… Et ces dés vont rouler ! 5 ou 6 pour éliminer une armée plus ou moins tous les bonus et malus amenés par l’asymétrie des différents peuples et la géographie de l’île (rappelez-vous, dans les Downlands, on est peinard !). Alors si vous n’aimez pas les dés… restez ! Car sur 5 heures de jeu, les dés sont tellement usés que les lois des probabilités fonctionnent, c’est imparable !

Le rythme intense induit par la succession des invasions, la richesse des interactions possibles entre quelques joueurs contrôlant 17 destinées et le défi que suppose la maîtrise des différents peuples font de Britannia, un jeu à la rejouabilité très conséquente.

Le jeu est clairement conçu pour une partie à 4 joueurs. A 3 ou 5 joueurs vous devriez sentir les effets d’un équilibrage moins fin, mais en connaisseurs, nous vous assurons que les parties impaires n’apportent pas moins de plaisir ! Pour une version 2 joueurs ou solo… il vous faudra fouiller dans les méandres des forums de BGG (Britannia est un classique et bénéficie à ce titre d’une belle communauté de joueurs) ou attendre une éventuelle nouvelle édition !

Pour cet article, nous avons eu un sincère plaisir à dépoussiérer notre boîte de Britannia. Noyés sous l’avalanche des nouveautés, nous avons parfois tendance à négliger les classiques que l’on a tant poncés à l’époque où les jeux avaient une durée de vie différente. Nous avons maintenant une culture ludique plus riche et pourtant, en redécouvrant Britannia, ce jeu nous a semblé… accessible, moderne et novateur ! Et vous ? Quel jeu de fond d’armoire allez-vous ressortir dès ce soir ?

La fiche du jeu sur Board Game Geek

Rédacteur de l’article : Marc

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