Dans une dizaine de minutes il sera midi et la chaleur est déjà étouffante dans les petites ruelles de la ville. La senteur des épices se mélange avec le parfum rafraichissant du thé à la menthe. Ahmed, le plus jeune de tous les commerçants du souk réapprovisionne son étal et déverse des flots de couleurs dans les jarres de sa modeste échoppe. Des couleurs aux doux noms de curcuma, de macis, de noix de muscade ou même de safran. De ses petites mains frêles, il met du cœur à l’ouvrage pour proposer des produits de qualité comme le faisait jadis son père et son grand-père. La famille d’Ahmed a toujours été de modestes commerçants. Nomades il y a encore quelques années, ils se sont désormais installés en ville, au beau milieu du souk d’Istanbul. Entrepôt de tissus, bureau de poste, vendeur de kebab, marchand de fruits ou fabricant de charrette, tous forment un joyeux bazar. Un bazar qui n’en finit plus mais qui offre la saveur de l’orient aux portes de l’occident…
Parce que le jeu de société c’est aussi des voyages et des découvertes, cap aujourd’hui vers la mer de Masmara et le Bosphore, en plein cœur de la cité légendaire d’Istanbul. Les éditions du Matagot y ont arrêté leurs caravanes et pour quelques pièces d’or, ils nous proposent le charme de l’Orient sur seize tuiles de jeu. Dans ce titre de Rüdiger Dorn, paru en 2014, nous incarnerons des marchands désireux de richesses et se devant de collecter de précieux rubis. Acheter, vendre ou troquer, nous devrons commercer de façon stratégique pour espérer remporter la partie. Deux à cinq joueurs pourront prendre place autour de la table durant environ 50 minutes, pour des parties facilement accessibles dès dix ans.
On vous prévient immédiatement que le jeu a très bien été accueilli par les ludistes et forcément, il connait déjà deux extensions (Mokka et Bakchich, Missives et Sceaux) ainsi que des tuiles additionnelles nous permettant de goûter aux délicieux kebabs du coin ainsi qu’à la profusion d’un entrepôt. Pour notre article, nous nous contenterons d’évoquer la boîte de base qui rappelons-le a notamment été primée par le Spiel des Jahres en 2014.
Bienvenue au souk
Vous voici donc plongés au beau milieu du souk d’Istanbul avec les seize emplacements que propose le jeu. Vous débutez la partie à la fontaine avec votre pion marchand, vos quatre assistants, quelques pièces de monnaie et une charrette dans laquelle vous stockerez vos ressources. Pour remporter la partie, il vous faudra être le premier à collecter cinq rubis (six pour des parties à deux joueurs).
Chaque joueur effectuera son tour puis passera la main au joueur suivant. Un tour de jeu comporte quatre phases mais le plus souvent vous en effectuerez que deux.
La première étape de votre tour consiste à déplacer votre marchand et votre pile d’assistants sur l’un des quartiers du souk. Vous pouvez les déplacer de un ou deux quartiers, uniquement de manière orthogonale. S’il y a déjà un assistant dans le quartier de destination, il rejoint votre pile Marchand et vous ne laissez pas d’assistant dans ce quartier. En revanche, s’il n’y a aucun assistant présent dans le quartier de destination, vous enlevez un assistant de votre pile Marchand et vous le laissez dans ce quartier. S’il y a d’autres marchands au quartier de destination, vous devez leur payer 2 pièces de monnaie chacun. Votre tour s’arrête instantanément si vous ne pouvez ou ne voulez pas les payer.
Si vous rencontrez des membres de familles adverses, vous devez les capturer et tous les envoyer au Poste de Police. En récompense, vous pouvez prendre une carte Bonus ou trois pièces de monnaie de la Banque pour chaque membre de famille. Si vous rencontrez le pion du gouverneur, vous pourrez alors prendre une carte bonus de la pioche, contre deux pièces ou défausser une carte bonus de votre main. Si vous rencontrez le contrebandier, vous pourrez alors gagner ou échanger des marchandises.
Si votre Marchand récupère ou laisse sur place un de vos Assistants dans un quartier, vous pouvez alors réaliser l’action disponible dans ce quartier. Nous n’allons pas vous détailler tous les quartiers mais vous pourrez par exemple récupérer des extensions de charrettes, récupérer des ressources (tissus, épices, fruits), prendre des cartes bonus, gagner des marchandises grâce à un jeu de hasard, vendre des marchandises, libérer le membre de votre famille qui se trouverait au Poste de Police, acheter des gemmes, etc… A la fontaine, vous pourrez finalement replacer autant d’assistants que vous le souhaitez sous votre pile Marchand.
Et comme indiqué ci-dessus, à la fin du jeu, celui qui détient le nombre voulu de rubis remporte la partie.
Gemmes ce jeu
Edité chez Matagot, la boîte de jeu comporte des tuiles bien épaisses, des composants basiques en bois, des pièces de monnaie en carton et des petites cartes toilées, tout y est ! La production a bien été réalisée et le plaisir du jeu devrait donc être au rendez-vous.
La règle de jeu est un document plutôt condensé de huit pages mais qui se lit facilement et rapidement. Il n’y a dans l’ensemble aucun souci d’interprétation de la règle et le jeu se prend facilement en main. Lors d’une première partie, les joueurs peuvent se retrouver quelque peu désemparés face aux nombreuses options de jeu que proposent les différentes tuiles. Il sera donc préalablement nécessaire de passer en revenu les différents choix possibles avant de plonger dans l’atmosphère trépidente du souk d’Istanbul.
Mais rapidement, on constate que le titre aborde une mécanique de jeu très logique qui gomme complètement la première impression d’être réellement « perdu dans le souk ». En gardant en tête que le but consiste à récupérer des rubis, on va rapidement, et presque instinctivement, sélectionner une mécanique d’enchaînement qui nous permettra d’en récupérer. Car oui, la réelle mécanique de jeu qu’il faut aborder, est le fait d’optimiser ses enchaînements d’actions pour récupérer les précieux rubis. Et cela doit se faire en prenant en compte des impondérables, à savoir que les autres joueurs vont forcément venir empiéter sur votre stratégie. On développe ainsi des mécanismes de combots entre les tuiles du jeu mais aussi une bonne dose d’anticipation. En effet, les coups doivent être prévus d’avance ce qui est indispensable pour ne pas se retrouver bloqués dans le jeu, surtout que les déplacements sont limités. Et comme si cela ne suffisait pas, le jeu oblige encore à effectuer de la gestion de ressources. Et de la gestion de ressources avec des emplacements de stockages limités sur la charrette dont chaque joueur dispose. Cette charrette peut être extensible mais il faudra alors payer le coût de cette extension et se déplacer dans le souk pour récupérer la tuile en question. Plusieurs actions vont aborder ce principe durant la partie et les joueurs devront alors faire des choix. Faut-il investir pour être plus performant ou maximiser ses déplacements ?
Les dilemmes des joueurs sont donc posés mais peu importe la stratégie sélectionnée, toutes les actions fonctionnent bien ensemble et le résultat est d’une grande fluidité. Les joueurs peuvent donc décider s’ils souhaitent plutôt axer leur partie sur la collecte des ressources, ou alors sur les aspects économiques ou même faire confiance à la chance ; tu te laisseras bien tenter par un petit jeu de hasard au salon de thé, n’est-ce pas humble marchand ?
Tout cela va donc générer des parties relativement tendues. A la fin du jeu, on se retrouve rarement avec de grandes différences de points entre les joueurs. Bien entendu, il s’avère tout à fait possible de se « balader » dans le souk, d’y effectuer des actions et de se laisser porter par les différentes options du moment. Mais en général, les joueurs vont inévitablement chercher à optimiser leurs actions de jeu. Cela va naturellement devenir compliqué lorsque les mêmes choix sont effectués. Surtout que certains emplacements du souk vont alors évoluer en fonction de décisions de uns et des autres.
En ce qui concerne l’interaction entre les joueurs, le résultat est plutôt plaisant pour ce type de jeu. Au cours de la partie, on se retrouve souvent sur les mêmes tuiles que les autres joueurs et là, il faudra en payer le prix. Certaines actions permettent aussi d’interagir directement avec les adversaires et d’une manière générale, Istanbul est plutôt propice à la discussion et à l’échange.
Parlons encore de la rejouabilité. Certes, les actions des tuiles sont toujours identiques d’une partie à l’autre mais l’espace de jeu est entièrement modulable. Les joueurs peuvent décider de disposer librement les différents emplacements du jeu ce qui apporte une belle diversité.
En définitif, on se retrouve avec un jeu à la mécanique très abordable mais nullement simpliste dans sa profondeur de jeu. Le matériel est de qualité, les parties sont relativement rapides et on prend un vrai plaisir à commercer dans ce souk éphémère. Chaque emplacement apporte sa petite mécanique de jeu et chaque déplacement implique une réflexion et une anticipation. Pouvant être aussi apprécié par des joueurs avertis que par toute la famille, Istanbul se profile comme une course aux gemmes qui ne manque pas de nous surprendre et de nous régaler à chaque partie !
Maintenant, à vous de vous forger votre propre avis.
La règle du jeu en français
Une partie devant la caméra de la TricTrac TV
Le site de l’éditeur Matagot